Actualité des combats de Pierre Dufau

Pendant des lustres Pierre Dufau s'est battu contre l'idée que Paris duit être considéré comme un musée où il serait interdit de construire, sinon en "architecture d'accompagnement", c'est à dire du faux Hausmann débilitant "qui ne se voit pas".

A sa mort le combat n'a pas trouvé de champion. Les architectes se sont tus. Les Ordres se sont perdus dans leurs minables ambitions démagogiques.  Paris s'est endormi. 20 ans plus tard, Paris souffre la comparaison avec pratiquement toutes les villes du monde qui ont incroyablement investi dans des bâtiments de leur temps. On va à Londres ou à Berlin ou encore à Shangaï ou Pékin pour voir des immeubles symboliques de leur époque.

Un intéressant article du JDD daté du 21 septembre analyse les causes de la crise touristique qui a frappé Paris pendant l'été 2008. Bien sûr les considérations conjoncturelles sont dominantes. Mais l'enquête souligne que "la capitale est jugée trop frileuse en "gestes architecturaux". Pas création audacieuse. Les touristes viennent aussi pour être dérangés".

Le message semble être compris par le Maire. Delanoé fait appel aux deux architectes suisses du nid d'oiseau, Harzog et de Meuron, pour une réalisation ambitieuse bien que très massive.

Et oui : des architectes étrangers. Une fois de plus. Il appartenait aux architectes français de faire preuve d'audace et de combativité. Ils ne l'ont pas fait pendant plus de 20 ans.   Les meilleurs s'expriment à l'étranger.  Tout cela avait été prédit par Pierre Dufau d'une façon explicite. Il importe que son combat soit repris par les jeunes architectes français de talents  ici et maintenant. Pas de créativité sans création ; pas de dynamisme sans créativité ; pas d'architecture qui en vaille la peine sans dynamisme ni ambition.

Paris ne doit pas devenir Kyoto !

 

Réflexions sur l’Ordre des architectes

J’ai participé comme Grand Massier de l’Ecole des Beaux Arts puis comme président de l’Union des Etudiants de Paris aux négociations menées par Jean Zay pour réorganiser les études d’architectes et plus généralement les conditions d’exercice de la profession. Pour moi, il s’agissait d’abord de sortir l’école et la profession du marasme qui les frappait durement depuis le déclenchement de la crise de 29,  marasme aggravé par la construction de la ligne Maginot qui privait la construction de l’essentiel de ses matériaux.

L’école dispensait alors  un enseignement remarquablement peu technique, avec des moyens  remarquablement faibles,  dans des lieux d’une remarquable laideur.  Mais elle avait ses qualités : l’enseignement n’était pas seulement livresque. Dans l’espèce d’anarchie qui  y régnait partout, finissaient par se développer des qualités indispensables au métier.  Il fallait remédier aux lacunes sans pour autant gâcher ce qui faisait la spécificité d’un enseignement  qui comme la médecine avait l’avantage de faire appel autant  à la pratique qu’à la théorie.

La philosophie professionnelle était entièrement tournée vers l’exercice libéral d’un architecte « artiste » signant ses façades comme un peintre ses toiles.  La belle exécution du  dessin de détail avec un « rendu » élégant  était la base de tout.  Pour certains des professeurs le grand débat portait sur la taille des cariatides à intégrer dans les façades et sur le caractère désolant ou non des sortes de vagues qui  apparaissaient sur les façades et qui font aujourd’hui la gloire douteuse de l’hôtel Lutétia.

La formation de l’architecte dans une telle optique ne méritait pas  un énorme investissement public. Du moment qu’on lui accordait un local et un guide, l’étudiant taillerait  lui même ses crayons.

Cette vision nous révoltait. Partout nous voyions que la technique changeait radicalement la manière de construire.  Des révolutions esthétiques  se produisaient  dans de multiples foyers, notamment en Italie et en Allemagne.  La profession paupérisée par la crise se voyait en plus attaquée par de nouveaux intervenants qui maîtrisant l’acier ou le béton   remettaient en cause le rôle de l’architecte.  Les étudiants étaient inquiets pour leur avenir. Même si la guerre qui menaçait conduisait à relativiser.

Certains voulaient protéger l’architecte au nom de la protection d’une mythique qualité architecturale.   D’autres voulaient protéger le client de l’architecte contre des manœuvres pas toujours claires des margoulins.  D’autres enfin pensaient sauver l’esprit français et  la notion du beau en enseignant les  bonnes pratiques. 

Entre essentialisme éthérée et médiocre corporatisme, la variété des postures était sans limite.  Jean Zay voulait surtout que l’accès à l’enseignement fut le plus ouvert possible. Moi même et mes amis nous insistions sur les moyens à accorder et l’ouverture technique de l’enseignement.

Jean Zay partit à la guerre.  Comme nous tous. Le nouvel Etat Français par l’intermédiaire du très distingué  M. Hautecoeur (nous l’appelions  « haut le cœur »)  crut devoir faire naître sur l’idée du faisceau professionnel (on n’était pas fasciste pour rien) un Ordre qui devait rassembler de façon unitaire toute la diversité de la profession afin d’en être la courroie de transmission vers l’Etat bienfaisant et paternel.  Le beau propre à la France éternelle règnerait désormais sur la construction.

Si on se détache des aspects purement politiques, le nouvel Ordre avait des fonctions modestes : tenir le Tableau  garantissant que l’architecte en était bien un, labellisé comme il faut ; faire respecter la déontologie.  Finies les dérives morales «qui nous avaient fait tant de mal ».

Mais peut-on se détacher des aspects politiques ?  L’Ordre instituait un MONOPOLE : toutes les parties de la profession devaient se rattacher à l’Ordre et il avait, et lui seul,  le dialogue avec les autorités.  Cet ordre se voulait moral, et donc se devait d’éliminer  les non conformes aux critères de la beauté de la Révolution nationale.  Il s’agissait bien d’une sorte d’épuration avec mise au pas. Le tout caché derrière des phrases creuses sur la beauté éternelle de l’architecture française pourvu qu’elle soit dans la lignée de Versailles et donc haussmannienne.  De moyens pour les étudiants et les études ? Evidemment pas un mot.

Réduits au silence nous n’en pensions pas moins.  Pour ma part je songeais  qu’il était inutile de tenir un tableau pour vérifier qu’un architecte avait un diplôme. Il suffisait que les écoles supérieures délivrent les certificats.  Quant à la déontologie, il y avait des juges pour cela. Le tenue d’une registre  centralisé aurait pu être l’affaire de quelque fédération ou d’un sous bureau au sous-secrétariat aux Beaux Arts.  L’enflure de l’Ordre ne laissait  pas d’inquiéter.

La profession d’architecte n’a jamais été « une ». Quel rapport entre un architecte libéral et un architecte salarié ? Entre un expert auprès des tribunaux et un architecte  fonctionnaire ?  Entre un constructeur de bâtiments neufs et un architecte d’entretien travaillant essentiellement pour les syndics ?  Entre un architecte mondain se contentant d’une villa par ci et d’une rénovation d’appartement par là et d’un architecte spécialisé dans les monuments historiques ? Tous ces métiers étant différents auraient du être représentés auprès des pouvoirs publics par des syndicats ou associations spécifiques.  Mais voilà : la loi supprimait les syndicats, « garants du désordre » !  Il était sûr que personne ne serait réellement représenté  et que le « führer » de la profession unifiée chercherait au nom d’un impossible  bien commun à défendre des visions bassement corporatistes pour consolider son empire.

La première grande sottise de l’Ordre fut de cautionner l’idée absurde que seule l’Ecole des Beaux Arts  délivrerait le fameux diplôme permettant d’accéder à la « prestation de serment » et à l’idyllique inscription à l’Ordre.  Cette mesure autoritaire et absurde provoqua une levée de boucliers légitime.  Il fallait diversifier les filières et permettre plusieurs modes d’exercice.  Il y eut reculade. Le reste de la politique de l’Ordre se perdit dans l’insignifiance ou la bassesse.  On élimina hypocritement de la profession des personnes n’ayant pas « les qualités morales requises ». En un mot les juifs et les métèques.  Glorieux moments !

La Libération malheureusement ne voit pas les corrections nécessaires. On change les hommes et c’est tout.  Le nouvel Etat est interventionniste. Il s’accommode d’une courroie de transmission certes un peu tâchée sur les bords mais qui lui paraît facile à contrôler. Il n’a pas tort. La docilité de l’Ordre sera toujours totale. Des médiocres devenus un petit quelque chose dans l’Etat et disposant de ressources importantes du fait de l’obligation de payer pour exercer,  sont toujours plus  à redouter pour leur profession que pour le complexe politico administratif. Ce ne sont rarement  les meilleurs qui cherchent l’onction élective et décorative  d’un Ordre.

L’échine profondément courbée devant les politiques, certains présidents de l’Ordre prétendirent bientôt  régenter le bon goût et le bon mode d’exercice.  Le pire fut atteint par le président Devaux qui n’hésita pas à attaquer des formes modernes d’architecture et nommément   Le Corbusier.  La tentation du leadership non seulement de  « La » profession (mythifiée) mais aussi de l’Architecture (remythifiée) par des médiocres, pas mythiques du tout ceux-là, est la déviation naturelle de cette institution perverse.

Naturellement, représentant tous les modes d’exercice et donc d’aucun, l’Ordre ne défends absolument pas les architectes  menacés  par les politiques arbitraires de l’Etat. Il se trouve que les politiques veulent construire vite et pas cher. L’architecte ? Un prétentieux  qui ralentit tout et grève les coûts.  Marginalisons-le et ruinons-le.  D’ubuesques présidents de l’Ordre drapés dans leur toge de dignitaire du Beau omirent tout simplement de s’opposer à ces projets.  Voici les architectes  grevés de contraintes, privés des libertés essentielles de création,  tenus à respecter des règles nouvelles de préfabrication et à faire place aux bureaux d’études, « tout de même plus sérieux ».

Pour l’enseignement, c’est pire. On organise le manque de moyens et le n’importe quoi. L’important c’est qu’il y ait de nombreux élèves.  Mai 1968 viendra donner le coup de grâce à l’édifice branlant.  L’architecte libéral est un bourgeois. Travaille-t-il dans un gros cabinet ? C’est un Koulak !  On en profite pour supprimer la dernière particularité de l’Ecole des Beaux Arts : son reste de pratique manuelle.  L’architecte devient un pur intellectuel qui suit des cours abstraits dans des unités universitaires au format standard.

L’Ordre suit par démagogie et fait parfois de la surenchère. L’inscription annuelle à l’Ordre, obligatoire, est mal ressentie par l’immense cohorte des jeunes qui sortent sans emploi des écoles et dont on encourage la multiplication : « plus nous serons nombreux plus nous serons forts ! ».  Supprimer les droits  pour les jeunes diplômés ? Que nenni. Qu’ils soient payés par « les gros » !   Les  « grosses » agences  se voient taxées soudain de sommes extravagantes sans aucune contrepartie.  Cela finira au tribunal.  Dans le même temps on exige de l’Etat la « répartition autoritaire des commandes ».  Pas question de laisser « quelques gros s’accaparer  la manne ». L’Ordre est prêt à pratiquer la répartition comme la FNSEA la distribution des subventions agricoles. Le résultat : ce sont désormais les architectes étrangers qui gagnent tous les concours publics !  Encore bravo !

Pendant ce temps là M. Giscard d’Estaing décide de ruiner les architectes «  coûteux et nuisibles à la bonne exécution des chantiers ».  Il supprime le forfait, protecteur, et passe la profession au bénéfice réel tout en lui imposant la TVA. Avec la législation sur le Coût d’objectif il encadre fortement les honoraires tout en faisant une place démesurée aux nouveaux intervenants : les mille et un types de bureaux d’études.  Un architecte ne gagne plus d’argent que s’il se contente de dessiner  les plans.  Tout le reste doit passer aux autres. Certains architectes se prêtent à ce jeu délétère.

Mais il faut qu’il garde toute la responsabilité. L’architecte devient courtier en assurances. Il n’a plus de pouvoir sauf celui de payer les dégâts d’où qu’ils viennent. On voit ainsi un homme seul (et responsable sur ses biens personnels) obligé d’indemniser un client du fait des erreurs d’énormes entreprises fournisseurs de matériaux défaillants ou de monstrueux monopôles de construction légèrement à côté de leurs obligations.  

Et l’Ordre pendant ce temps ?  Il se tait ou presque. La profession est dépecée. Il s’en contrefiche. De toute façon cela ne concerne que les architectes qui construisent, qui ne sont pas le fond de sa clientèle. Les Architectes sont globalement montrés du doigt  comme des monstres ayant crées des villes criminogènes, comme odieux bâtisseurs de tours et de barres, comme infects promoteurs de la cage à lapin pour humain déshumanisé. Non seulement il ne défends pas les architectes mais il joint sa voix au concert.  Qu’on lui donne encore plus de pouvoirs et d’argent et on verra quelle merveilleuse architecture sortira du sol en un clin d’œil !

En contrepartie l’Ordre négocie avec les pouvoirs publics une mesure aussi dérisoire que déplaisante : l’obligation du recours à l’architecte pour des  bâtisses de petite taille !  Cette mesure idiote fera beaucoup pour accroître le mépris public contre les architectes.

La dernière tare d’un Ordre national et obligatoire est le sentiment larvé mais tenace qu’il a de sa propre inutilité.  La tenue du tableau et la vérification d’assurance étant des tâches d’une très grande médiocrité (en général mal faites et même pas faites du tout pendant des années, concernant la vérification d’assurance),  il faut absolument  trouver une légitimité ailleurs. Et si on monopolisait aussi tous les services aux architectes ?  La Mutuelle des Architectes ? Elle devrait être gérée par les équipes de l’Ordre ! La formation continue ? Bien entendu…

La Mutuelle saura résister, en partie grâce à moi. Mais  que de services mal gérés centralisés dans les Ordres.  Jamais on aurait du laisser des tâches de formation à cet organisme géré par des amateurs.  Cela lui permet de faire l’intéressant auprès des jeunes générations d’architectes qui découvrent bien vite que tout cela est vide et creux. Qu’il ne s’agit que d’un  détournement de pouvoir et de fonds.

En 1985, soit  près de 50 ans après que j’ai commencé à être mêlé à ces questions, je persiste et signe. Il faut supprimer l’Ordre et laisser à une multitude d’organisations spécialisées le soin de défendre les intérêts matériels et moraux  des différents modes d’exercice du métier d’architecte. Il faut renforcer la mutualisation. La réforme de l’enseignement reste à faire qui consiste à donner des moyens enfin sérieux à un enseignement qui doit être sélectif et toujours  plus technique  mais qui doit aussi conserver le contact avec la main, avec la pratique, avec la vie, avec les artistes,  et les beaux arts dans toute leurs formes.

 Il n’y a plus d’architecture individuelle aujourd’hui. Il faut des cabinets forts et internationaux.  C’est le développement de ces nouvelles entités qui forgeront l’architecture française du futur et son éventuel renom qu’il faut encourager.  Et il faut que mille forces différentes encouragent la liberté de concevoir  et les libertés de création,  constamment réduites par des forces  toujours renaissantes. 

L’architecte devrait être libre et partout il reste en France dans les fers ! 

On n’aura pas de grande architecture française sans architectes libres, bien formés et exerçant souvent dans des agences de dimension mondiale.  Il n’y a pas besoin d’Ordre des Architectes pour cela. Avec l’émergence de l’Europe, on voit bien que la singularité de l’Ordre français est totalement décalée.

On peut supprimer cette anomalie française !

Le blog du centenaire de la naissance de Pierre Dufau

PIERRE DUFAU (1908-1985) A ETE PRESENTE COMME L'ARCHITECTE FRANÇAIS DES TRENTE GLORIEUSES.
Avec plusieurs centaines de missions d'architectures et d'urbanisme et plusieurs dizaines d'oeuvres majeures, il est représentatif d'une période de l'histoire de l'architecture française certes controversée mais essentielle. Le présent blog est ouvert à tous ceux qui ont connu Pierre Dufau et qui souhaitent témoigner soit de leur collaboration dans une des nombreuses agences qu'il a dirigé et à tous les apports qui peuvent compléter les textes et les photos du site officiel de Pierre Dufau.

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